Des tranches de vie dans une « tranche de survie »

Lettre Mathilde 2

Des tranches de vie dans une « tranche de survie »

Hélène Ben Attar Fernandez – 2021

En créant ce site, en 2005, j’avais au fond de moi une petite lueur d’espoir : « Et si quelqu’un se reconnaissait dans ce récit, si sortait de l’ombre un être cher, peut-être perdu après la Libération ? » Je tiens cet espoir de mon père, Georges, qui a longtemps espéré revoir sa sœur Mathilde, qu’il trouvait si forte et si combative !

Mathilde Ben Attar.

Quatre ans après la création de ce site, en 2009 exactement, j’ai reçu un mail insolite de H. D. qui disait : « Bonjour, je pense que j’ai des documents appartenant à la famille Ben Attar. En effet, en débarrassant l’appartement de ma mère, décédée 6 mois auparavant, j’ai trouvé un paquet de lettres, avec le nom “famille Ben Attar“ au-dessus de la pile. » Il m’expliquait ensuite qu’il avait cherché sur Internet et était tombé sur mon site, qui affichait le nom d’une famille Ben Attar, et le prénom particulier de Mathilde.

Je le contacte le jour même, toute tremblante d’émotions. Imaginez donc ! Et là, commencent les découvertes.

Cet homme, s’appelle H. D. Il est Juif. Il est le fils de André et Maryvonne, et le neveu de Léon, dit Lolo. Et ce dernier n’est autre que le fiancé de ma tante Mathilde, sœur de mon père ! Vous suivez ? Et les deux belles-sœurs s’écrivent, et ces courriers, ce sont ceux que H. a retrouvés, que la belle-sœur a conservés toute sa vie, sans même jamais en parler à H.

Mon père, Georges Ben Attar, ne nous a jamais parlé du fiancé de Mathilde. En tout cas, aucun de mes frères et sœurs n’en a souvenir.

Je parle de tout ça à mes deux frères et mes deux sœurs, et nous décidons d’aller tous ensemble à Strasbourg « rencontrer ces lettres» et H. Nous nous retrouvons chez notre sœur Béatrice. Vous verrez pourquoi plus bas.

Quelles lettres ! Elles démarrent en avril 43 et se terminent en septembre 43, la dernière étant écrire quelques jours avant la déportation de la famille Ben Attar, dont seul Georges est revenu. A la lecture, l’on y découvre non seulement des moments de vie de mon père, de mes tantes, des métiers, des doutes, des craintes et des peurs, mais aussi l’on découvre des écritures, celles de ma tante, de ma grand-mère Sarah et le courrier qu’adressait Léon à la famille Ben Attar, y compris depuis Drancy avant le voyage sans retour à Auschwitz qui lui a été fatal.

A la lecture des lettres des Mathilde, on comprend que quand elle écrit à sa belle-sœur, elle ne veut pas trop lui sur-rajouter de l’inquiétude mais aussi qu’elle n’était pas dupe du sort réservé à son fiancé, déjà à Drancy. Et peut-être bien également se réconforter personnellement, ce qui traduisait une grande crainte pour l’avenir. On ne pourra jamais réellement savoir… Et les lettres mentionnent encore Léon en septembre (Lolo) alors qu’il a été déporté le 31 juillet 43 dans le convoi n° 58.

On s’aperçoit également, que pour ces Juifs français, la vie s’écoulait malgré tout normalement à Nîmes, quelque temps avant l’horreur. Auraient-ils pu imaginer quel sort leur était réservé ?

L’émotion a été à son comble quand H. a sorti une photo de M. et qu’on lui a sorti la même.

La dernière lettre de Mathilde à sa belle-sœur avant qu’elle, son frère Georges et leur famille ne soient déportés.

Et ce n’est pas tout. Ce H. D. habite à Strasbourg. Et il se trouve que ma sœur B. y habitait aussi. Son second prénom est Léon. Le second prénom de ma sœur est Mathilde. Et bien sûr, ils se connaissent. Quand je l’ai au téléphone, après quelques échanges, je lui dis : « Mais si vous habitez Strasbourg, vous devez connaître la famille G. ? » « Bien sûr, me répond-il. Mais qui êtes-vous par rapport à B. ? » « Ben, je suis la sœur ». Il n’en revient pas. Et j’apprends même que son fils, qui a fait des études à Toulouse, a habité un moment avec mon neveu, le fils de B. Evidemment, ni H. ni B. n’avaient parlé de ces lettres, puisqu’il n’y avait pas longtemps qu’il les avait retrouvées et que B. étant mariée, elle ne portait plus le nom de Ben Attar.

En faisant ce site, je n’ai pas retrouvé une tante amnésique, perdue en Amérique, mais des tranches de vie, des pièces de puzzle qui n’ont pas fait réapparaître les témoins disparus mais qui ont fait parler des objets.

Et souvent, c’est par des petites découvertes, de petites choses longtemps oubliées, puis qui refont surface, sans que l’on ne sache vraiment pourquoi, que l’histoire avance et que les disparus revivent.

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