Lire l’histoire de Simone Calef

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Le 17 septembre 1943, vers 21 heures, une inconnue sonne à la porte et se présente à nous. Elle parle français. On vit à Nîmes, où mon père tient un magasin de tissus autour des halles. Nous sommes neuf personnes à la maison : mon grand-père, Abraham Angel (le père de ma mère), mes parents, Albert et Victorine Calef, et les six enfants : Estelle, Yvette, Andrée, Suzette, Roger, et moi-même, Simone.

Cette inconnue dit en parlant de ma sœur Suzette : « Cette jeune fille ne dormira pas dans son lit ce soir. Je sais que vous allez être arrêtés ce soir.  » Déjà conscientes du danger, car en 1942, a eu lieu la déportation de tous les Juifs étrangers, trois de mes sœurs dormaient chez les voisins du dessous et mon frère Roger habitait, pour raison de santé, dans une chambre dans une villa (il avait contracté la tuberculose).

Nous partons donc immédiatement. En chemin, nous sonnons à la porte de la famille Ben Attar (puisque cette inconnue nous avait dit que Ben Attar était aussi sur la liste). Malheureusement pour eux, de caractère plutôt optimiste, ils ont pris leur temps pour partir. Nous avons appris plus tard que la gestapo était venue un quart d’heure après notre départ et avait trouvé notre appartement vide. Les Ben Attar, eux, étaient encore chez eux…

Eperdus et ne sachant où aller, nous allons prévenir notre frère Roger qui vient avec nous et nous sonnons au hasard chez une dame, Mme Ecuyer, qui nous dit : « Je comprends qui vous êtes, je m’en vais mais vous laisse ma maison. » Elle savait donc que nous étions Juifs et n’a pas hésité à nous laisser sa maison, au quartier de Valdegour, à Nîmes. Et elle a été le PREMIER MAILLON d’une chaîne salvatrice.

Nous passons la nuit chez elle, mais dès le lendemain matin, arrive la première inconnue qui nous avait retrouvés on ne sait comment. Elle propose de faire de fausses cartes d’identité si nous lui donnons des photos. Nous acceptons. Puis elle nous réclame une forte somme d »argent. Nous flairons un piège, nous hésitons. Alors, voyant notre réticence, elle nous affirme que notre père a été arrêté. C’est ce qui nous a définitivement convaincus qu’elle n’était pas nette, car notre père était avec nous, dans une pièce à côté. Elle ajoute « De toutes façons, maintenant j’ai vos photos, vous ne pourrez aller nulle part… » (sous-entendu, vous n’avez pas le choix).

Mais bien que sa démarche fût intéressée, je considère que cette inconnue a constitué un DEUXIEME MAILLON de la chaîne car c’est « grâce » à elle que nous avons quitté notre appartement de Nîmes. C’est aussi grâce à son comportement louche que nous avons eu l’idée de quitter la maison du Valdegour.

Le départ

Nous décidons donc tous de quitter cette maison mais elle est cernée par des agents de police français. Notre inconnue nous a bel et bien tendu un piège. Ma sœur Suzette s’exclame : « Ce coup-ci nous sommes frits. » Heureusement nous parvenons à escalader un mur mitoyen du jardin et atterrissons dans celui de voisins peu amènes qui veulent nous en interdire l’accès. Finalement, ils acceptent d’ouvrir leur portail et nous nous retrouvons sur une route sans agent de police. J’ai appris plus tard que le propriétaire de cette maison administrait des magasins tenus par des Juifs. Et je suis pourtant arrivée à l’apitoyer en lui disant : « Vous n’allez quand même pas laisser arrêter 8 personnes. » Ceci fut le TROISIEME MAILLON.

Là, nous décidons de nous séparer. Nous quittons nos parents sur la route. Mon frère Roger, ma sœur Andrée et moi-même prenons un tramway pour aller chez un médecin connu de nous qui accepte de nous faire entrer dans une clinique tenue par des sœurs. QUATRIEME MAILLON. Mon autre sœur Suzette se rend à pied à Lunel (Gard) chez l’employée du magasin qui est susceptible de la cacher. En chemin, elle se fait violer par des policiers français puis arrive quand même apeurée et en larmes à destination.

Notre histoire est la preuve que le moindre geste compte. Qu’il constitue le MAILLON d’une chaîne solide, efficace : la solidarité.

Au bout de trois semaines, il faut quitter la clinique car ils ne veulent plus nous garder. On occupait deux chambres, mais je ne sais si l’on payait. Roger téléphone alors à l’un de ses amis de sanatorium, à Perpignan, qui lui dit de venir se cacher chez lui. « Je comprends, je comprends, viens. »

De la clinique, ma sœur Andrée et moi-même retournons chemin de Valdegour. Là, nous sommes hébergées chez des paysans. Et mes parents s’y trouvaient. Je ne sais comment tout cela s’est fait, c’est loin, mais voilà un CINQUIEME MAILLON.

Après une nuit, nous partons tous en ambulance rejoindre Suzette à Lunel. Et il se trouve que le frère de l’employée du magasin qui nous hébergeait était Résistant. C’est lui qui nous procure de fausses cartes d’identité. SIXIEME MAILLON.

Les faux noms

A partir de ce jour, nous changeons d’identité. Mes parents, Albert et Victorine Calef, s’appellent Maria et Joseph Gomez et sont nés en Espagne. Suzette et moi-même, Simone, devenons Catherine et Michèle Lautar, nées à Philippeville. Andrée et Roger deviennent Nicole et Pierre Baudry, nés à Dakar. Ces fausses naissances lointaines rendent quasiment impossible toute vérification d’identité.

De Lunel, « Pierre » file à Perpignan chez son ami, et « Nicole », partie avec lui, réussit à louer une chambre grâce à un peu d’argent que ma mère lui avait cousu dans sa doublure.

« Catherine » et moi prenons le train pour aller chez notre sœur aînée Estelle, déjà mariée à un non Juif, à Lyon. Je n’ai jamais su comment arrivèrent quelques jours plus tard nos parents munis bien sûr de leurs faux papiers. La dernière fois qu’on les avait vus, ils étaient logés chez des paysans, quartier Valdegour. Mais ils doivent partir au bout de quelques jours. Mon père me racontera qu’il s’est fait braquer par des « collaborateurs » qui lui volent de l’argent. Ma mère reste cachée derrière un arbre. C’est de là qu’ils décident eux aussi d’aller à Lyon. Mais une interrogation demeure : savaient-ils que l’on y était ? Je ne sais plus.

Des visites incessantes chez mon beau-frère ont inquiété ma sœur. Nous décidons donc de partir, ainsi que ma mère. Nous partons d’abord chez une cousine de Lyon puis à l’hôtel.

De là, nous repartons pour Perpignan en train rejoindre « Pierre » et « Nicole ». Nous n’étions pas rassurés. Nous avions même très peur. On pensait aux photos détenues par l’inconnue. Et nous étions très connus, à Nîmes, à tout moment, l’on pouvait nous arrêter.

Les familles Andjel et Calef

Perpignan

A Perpignan, on va chez Francis, le copain de « Pierre ». Il nous signale qu’il n’a pas pu le garder et qu’il est, avec « Nicole », dans une pension. Ne pouvant tous payer la pension, l’on trouve un petit meublé. Roger, en convalescence, dort dans une chambre seul, et les 4 femmes (mes 3 sœurs et maman), tête bêche dans un même lit.

C’est décembre 1943, on y restera jusqu’à la libération de Perpignan et de Nîmes en août 1944.

Pendant cette période, nous ne mangeons pas à notre faim. La nourriture est essentiellement composée de mauvaises pommes de terre, de pain sec et d’un ersatz de pâté.

Je partais travailler en vélo dans une casserie qui permettait de faire des produits de beauté.

Je me souviens d’une anecdote. Tous les citoyens, pour je ne sais quelle raison, doivent changer de carte d’identité. Le peur dans l’âme, au culot, nous avons présenté nos fausses cartes. C’est ainsi que nous avons obtenu de vraies « fausses » cartes. Le SEPTIEME MAILLON s’appelle chance.

On vivait dans la crainte d’une descente de police, qui contrôlait sans arrêt les meublés. Chaque fois que quelqu’un frappait à la porte, on paniquait, d’autant qu’il y avait un collaborateur dans le quartier où l’on vivait.

C’est dans ce contexte de peur, de privation, de France occupée, que nous sommes arrivés à la libération de Perpignan.

De retour à Nîmes

Mon père a quitté Lyon après la Libération. Il apprendra que le propriétaire du meublé, qu’il habitait avec ma sœur Estelle et son mari, était communiste et Résistant, qu’il avait tout compris et ne les avait donc pas dénoncés. HUITIEME MAILLON.

En juin 1944, nous rentrons chez nous à Nîmes où nous retrouvons nos maison et magasin spoliés. C’est là que nous avons appris l’arrestation de familles françaises juives, dont la famille Ben Attar.

En avril 1945, j’ai vu sur le journal que Georges Ben Attar rentrait d’Auschwitz. J’étais heureuse. On s’est marié en juillet 1946.

Après notre mariage, quelques années se sont écoulées puis on est allé à Perpignan revoir les propriétaires du meublé que je louais avec ma famille. C’est à cette occasion que j’ai appris que le propriétaire était Résistant et sa femme communiste. Elle avait d’ailleurs aidé des Républicains espagnols à passer la frontière ou les avait secourus en les amenant chez le médecin.

Elle avait bien sûr compris que nous étions Juifs et n’avait donc pas déclaré le meublé comme elle aurait dû. C’est pour cela que nous n’avons pas eu de descente de police. NEUVIEME MAILLON.

Remerciements

Notre histoire est la preuve que le moindre geste compte. Qu’il constitue le MAILLON d’une chaîne solide, efficace : la solidarité. Et je profite de l’occasion que me donne ma fille Hélène, à travers ce site web, pour remercier toutes ces personnes, connues ou anonymes, qui, malgré les risques encourus ou les hésitations, ont su vaincre leurs craintes pour sauver des vies.

Malgré le temps qui passe et la perte de nombreux détails, vous, tant que je vivrai, je ne vous oublierai jamais. Ce site sert désormais de mémoire, ce devoir de transmission, nous vous le devons.

Et si vous n’avez pas revendiqué la médaille des Justes, sachez que vous la méritez. Merci.

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